Plus de 90% des Français utilisent Google comme moteur de recherche principal. Occupant la seconde place de la capitalisation boursière après celle du pétrolier ExxonMobil, Google est aujourd’hui le leader mondial de la navigation internet. Mais pas seulement. Google ne cesse d’accroître son champ d’investigation à travers ses investissements dans les industries et technologies du futur, c’est-à-dire celles de la robotique (Boston Dynamics), de l’intelligence artificielle (DeepMind) et des objets connectés (Nest). Bien plus qu’un moteur de recherche, Google est aujourd’hui une géante entreprise des NBIC (nanotechnologies, bio-ingénierie, informatique et sciences cognitives).
Suite à la condamnation récente de Google par la CNIL sur leur politique de collecte, de traitement et de durée de conservation des données personnelles, le géant du web est aujourd’hui au cœur du débat sur la protection des données et la confidentialité des correspondances. Mais ce n’est pas tout : Google inquiète par son hégémonie gargantuesque sur le marché. Le monopole de Google est-il dangereux pour l’économie européenne ? Si Google rachète de manière stratégique les sociétés les plus innovantes, y aura-t-il encore une place à l’avenir pour la concurrence ? Notre destin est-il entre les mains de Google ?
Sommes-nous vraiment dépendants de Google ? Aujourd’hui, difficile d’imaginer un internet sans Google. C’est un moteur de recherche des plus pertinents et rapides, et il est installé par défaut sur la quasi-totalité des navigateurs. Alors pourquoi changerait-on ? Depuis la modification de la politique Google sur la confidentialité des données, qui lui a valu cette condamnation par la CNIL, on ne peut pas dire que le géant fasse toujours l’unanimité chez les internautes.
Alors, avons-nous d’autres choix que Google ? D’autres moteurs de recherche existent (DuckDuckGo, Ixquick, YaCy, Wolfram Alpha…) et respectent la confidentialité de nos données, mais avec toutefois quelques inconvénients. Notamment, le degré de pertinence des recherches n’est pas toujours aussi élevé qu’avec Google. Tout dépend de nos critères de priorités : si nous souhaitons privilégier la protection de nos données personnelles à la pertinence des recherches, alors Ixquick et DuckDuckGo sont d’excellentes alternatives. Ixquick, par exemple, n’utilise ni adresses IP ni cookies, ne capture aucune information personnelle et encode les recherches en HTTPS. Il lui a d’ailleurs été décerné le premier label européen pour la protection des informations personnelles (« European Privacy Seal »).
Google sait-il tout ? Si l’on écoute les propos de l’ancien PDG de Google, Eric Schmidt, c’est bien l’ambition de Google, tout savoir de nous pour mieux nous contenter : « Non seulement vous ne serez plus jamais seul, mais en plus vous ne vous ennuierez jamais ! Nous vous suggèrerons ce que vous devriez regarder, parce qu’on sait ce qui vous intéresse… Un futur très proche dans lequel vous n’oublierez rien, parce que les ordinateurs se souviennent. Vous ne serez jamais perdu. »
Finalement, Google n’est-il pas notre meilleur ami, si fidèle et intelligent que nous n’arriverons plus à nous en séparer ! C’est un peu l’objectif des stratégies de personnalisation poussée à l’extrême, qui nous rendent de plus en plus dépendants d’un outil qui nous conseille, nous supplée, nous « augmente » déjà. Par ailleurs, les résultats de recherche que nous propose Google sont de plus en plus personnalisés et discriminent par conséquent certaines informations au profit d’intérêts particuliers. L’algorithme qu’opère le moteur de recherche à travers nos données et de toutes les informations générées par nos comportements sur le web n’est plus pertinent dans le sens où il n’est plus vraiment neutre. Évidemment, c’est une stratégie commerciale comme une autre, que nous n’allons pas reprocher spécifiquement à Google. Toutes les entreprises (du web ou non) le font. Mais la question est plutôt : quel est l’objectif ultime de cette hyper-personnalisation, accentuée par la nouvelle vague des objets connectés, si ce n’est l’apprentissage subtil d’une douce dépendance à « un ami qui ne nous veut que du bien » ?
Pascal Perri, économiste et auteur de Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien, déclare dans une interview de Jean-Sébastien Zanchi : « Avec Nest (fabricant de thermostats connectés), l’Américain met un pied dans nos foyers. S’il conçoit des réfrigérateurs dans le futur, on peut imaginer qu’il en contrôlera aussi le contenu et donc le commerce de ce qu’on y conserve. »
Un petit pas pour l’internaute… un bond de géant pour le transhumanisme ? Le transhumanisme est une idéologie qui apparaît dès les années 1950, et qui considère que l’homme peut légitimement s’appuyer sur des moyens technologiques et scientifiques afin d’améliorer ses capacités physiques, cognitives, et même sa constitution génétique.
Google n’est pas qu’une entreprise d’informatique, c’est désormais une entreprise des NBIC, au service d’une vision ouvertement orientée transhumaniste, où « la mort de la mort », pour reprendre le titre d’un ouvrage écrit par Laurent Alexandre, constitue l’ambition première. La preuve en est que la firme a récemment investi dans le séquençage ADN avec la filiale 23andMe, avec pour objectif de faire reculer la mort de vingt ans d’ici à 2035. De plus, Google a embauché, en décembre 2012, un des leaders du transhumanisme et spécialiste de l’intelligence artificielle, Ray Kurzweil. Faire reculer la maladie oui, mais si ce dessein n’était que le premier pan d’une humanité augmentée et hyper-connectée, l’accepterions-nous ? Le futur de la médecine est-il déjà entre les mains de Google ? Bientôt nous aurons la possibilité de vivre en réalité augmentée avec les Google Glasses, et demain nous croiserons dans la rue la première ébauche de ce que pourrait être l’homme augmenté, avec ses lentilles et ses lunettes connectées.
La stratégie commerciale de Google est impressionnante, mais elle est au service d’une idéologie transhumaniste, très controversée qui, si elle semblait relever de la science-fiction il y a quelques années, est aujourd’hui possible avec la convergence des NBIC. « Il y a des années, dans un entretien pour mon livre, ils [Larry Page et Sergey Brin, co-fondateurs de Google] s’amusaient déjà à imaginer que Google serait finalement un implant cérébral qui vous donnerait la réponse quand vous pensez à une question », s’exclame Steven Levy, journaliste américain qui a plusieurs fois interviewé les co-fondateurs de Google.
Nous vivons à une époque où la technologie est omniprésente et façonne de plus en plus notre quotidien. Si Google et d’autres géants du numérique continuent d’étendre leur influence, nos vies seront-elles contrôlées par des algorithmes et des systèmes intelligents capables de prédire nos choix avant même que nous en prenions conscience ? Le débat ne concerne plus uniquement notre vie privée, mais également la manière dont nos sociétés évolueront dans un monde dominé par la collecte de données et l’intelligence artificielle. La question reste : jusqu’où devons-nous accepter que cette technologie s’immisce dans notre vie, et que pouvons-nous faire pour conserver notre autonomie face à cette évolution fulgurante ?