Le numérique contribue-t-il au développement humain ?

Tout s’accélère (l’accélération en action) autour de nous sans pour autant savoir où nous allons et pour quelles finalités.
Est-ce que « l’on va de plus en plus vite pour aller nulle part » comme le disait Jacques Ellul ?
Est-ce que cette vitesse nous grise et nous amène à confondre information et communication, émetteur et récepteur ?

C’est le grand paradoxe : l’information croît vertigineusement, tant en vitesse qu’en volume, alors que la qualité de la communication entre les hommes, les rapports humains, ne font que régresser. Il faut donc prendre garde que le numérique ne privilégie pas l’information à la communication, car la communication fait la relation et c’est la relation qui permet aux hommes de se comprendre et de s’aimer. Or, plus le monde est ouvert, plus cette communication semble difficile.

Malgré tous les moyens numériques mis en œuvre, la qualité des messages délivrés est-elle meilleure ?
La compréhension de l’échange s’est-elle améliorée ?
L’homme demeurera-t-il toujours plus grand que ses techniques ?

Appréhender les usages du numérique
Il me semble qu’il faut aussi appréhender les usages du numérique. Je m’élève contre les pratiques dites de « Test & Learn » – telles que peuvent l’entendre certaines officines – dès lors que l’apprivoisement de l’usage ne s’inscrit pas dans une pensée stratégique parfaitement claire. La sérendipité ne doit pas exclure une intention fondée sur une vision préalable. Ambivalence, car la technologie peut offrir le pire comme le meilleur, tant dans son usage que dans sa prédestination !

En entreprise, les moyens numériques doivent veiller à ne pas être intrusifs, à ne pas manipuler les clients « à l’insu de leur plein gré ». Du coup, cela oblige à revisiter les usages avec un œil différent, afin d’éviter les sollicitations univoques sans accord préalable, fort et explicite, du consommateur. C’est, je pense, avec ce regard : celui de l’homme averti et de bon sens, que tout entrepreneur doit appréhender les apports du numérique à la poursuite d’un projet entrepreneurial.

Quelle contribution du numérique au développement humain ?
Cela pose le problème de la contribution du numérique au développement humain et donc au bonheur.
Ce développement s’entend-il aujourd’hui exclusivement à travers le prisme de l’économie dont l’innovation fait effet de « vertu créatrice » ?
Ne devrait-il pas aussi permettre l’épanouissement de la vie en commun ?

Si ce but poursuivi est partiellement atteint, les systèmes complexes et interdépendants sur lesquels il repose, demeurent localisables dans l’espace et dans le temps de l’histoire humaine. A ce titre, on pourrait parler de civilisation du numérique. En effet, le numérique représente un système hypersocial fédérant des ensembles transformationnels suffisamment significatifs et denses.

La notion de « Civilisation » suggère une rupture dans la façon de vivre, avec l’espérance que cette rupture apporte un meilleur être à l’humanité. La civilisation peut avoir une dimension comparative : une civilisation pouvant être plus avancée ou plus perfectionnée qu’une autre. Une civilisation suppose continuité, transmission et donc héritage. Elle concerne davantage les objets, les richesses, les institutions que les valeurs morales collectives qui relèvent, elles, de la seule Culture.

Civilisation numérique et valeurs individuelles
La Civilisation est davantage liée à la Société, alors que la Culture me semble plus proche des valeurs individuelles. La civilisation numérique voudrait être une civilisation du partage régulée, et parfois dominée, par des acteurs nouveaux poursuivant le dessein de l’uniformité. Un dessein qui se heurte aux spécificités culturelles : celles qui font les cultures, celles des nations par exemple. A contrario de Comte, je ne pense pas qu’on puisse se soustraire de cette forme d’individualités. J’en veux pour preuve le rapport que les européens ont avec la protection des données vs. les américains.

Le numérique n’est que le moyen d’atteindre des objectifs, suivre des directions, répondre à des questions. L’homme doit conduire et raisonner son destin, ce qui suppose un approfondissement des champs de l’éthique et de la morale : ce qui est possible n’est pas souhaitable.

Dans ce contexte, il devient essentiel de réinterroger notre rapport au numérique et aux nouvelles technologies. Plutôt que de nous laisser emporter par une course effrénée vers des innovations toujours plus rapides et plus omniprésentes, il convient de questionner les finalités de ces progrès. Sommes-nous véritablement en train de construire un monde meilleur, plus solidaire, plus humain, ou sommes-nous pris dans un tourbillon qui, sous couvert de progrès, dénature nos relations, nos priorités et nos valeurs ? Le numérique ne devrait pas être un substitut à l’essence même de l’humain, mais un levier au service de notre épanouissement collectif et individuel. Il faut alors retrouver l’équilibre entre la technique et l’éthique, l’innovation et l’humanité, afin de garantir que ce monde numérique soit un vecteur de sens et non une fin en soi.

Auteur

  • Est un écrivain et spécialiste en technologies numériques, engagé dans la création d’une société numérique plus éthique et durable. Passionné par l’impact des nouvelles technologies sur la société, il explore les thèmes de l’inclusion, de la protection de la vie privée, et de l’innovation responsable pour encourager un futur numérique équilibré.